Chers tous et toutes, je suis restée silencieuse un long, long, long moment, car je me suis lancée dans un projet d’écriture qui me tient à cœur depuis très longtemps. J’aurai l’occasion d’y revenir ultérieurement.
Aujourd’hui, je voulais partager avec vous un objet de réflexion qui a porté mes études de philosophie: l’art.
Il s’agit d’une réflexion de recherche préliminaire sur laquelle je retravaille en ce moment et dont je vous propose le résultat.
Pourquoi l’art engagé?
Pourquoi décider de mener une réflexion sur l’art engagé dans le monde occidental de la fin du XXème siècle? Pourquoi avoir décidé de penser l’art engagé dans le monde? autrement dit, à quoi bon préciser que cet engagement a lieu dans le monde? Comme s’il n’était pas évident que l’art appartînt au monde.
Deux raisons ont présidé mon choix: la première est, qu’en règle générale, penser « l’art engagé » implique de penser la pratique de l’art comme prise dans des doctrines politiques que l’artiste condamne ou soutient. C’est penser l’engagement de l’artiste par son moyen d’expression qu’est l’art et donc, réduire l’art au simple statut, et le terme est discutable, de moyen. Moyen d’expression, c’est-à-dire une création inscrite dans un but, un objet technique donc.
La seconde est que, même si l’engagement politique est un engagement actif, puisque l’artiste agit sur la société et la pensée des hommes qui la composent, il y aurait, là encore, une réduction de l’art, dans cette analyse, puisque cela pousserait à croire que l’engagement auquel nous souhaitons faire référence dans cette étude, ne serait qu’un engagement d’idées qui, en second lieu, investirait le monde sensible par son action.
Or, nous voudrions soit, proposer une analyse des conséquences de l’engagement doctrinal de l’art dans cette période, ce qui, semble-t-il, est incontournable, mais surtout comprendre l’engagement matériel de l’art. Autrement dit, nous souhaitons pouvoir traiter de l’entrée de l’art dans le monde physique, entrée qui s’effectue aussi bien par l’ouverture des musées que par la sortie des œuvres hors de leurs sanctuaires et leur établissement dans le « monde des hommes ».
Ainsi, il ne s’agit pas simplement d’étudier les effets sur l’art de cette intégration au monde, il faut penser les causes, avec des auteurs comme Hegel, Danto ou même l’artiste Pierre Soulages, penser les effets sur le public et la conception qu’il se fait dorénavant de l’Art, et même penser les effets sur le monde de cet art « hors des murs » reconnu cependant comme objet d’art autant que celui des musées. En d’autres termes, il nous faut analyser si l’implication que génère l’art dans ce « monde des hommes » en mutation est saisie dans toute son ampleur par son public et est même réalisée par l’Art, l’artiste et ce fameux « monde de l’art » si convoqué et tellement méconnu et se demander s’il n’y aurait pas un renversement de l’entité adoubant l’objet en art et faisant du commun un élément remarquable et du crasseux, un propre à regarder, admirer, exposer. Enfin, il s’agit aussi de montrer que l’engagement d’idée est avant tout un moyen, pour l’art, d’investir le monde et non l’inverse.
Une étude des arts de la peinture et de la sculpture
A ce moment de la réflexion, il serait facile et la tentation a été grande, de placer notre discours dans l’ensemble des domaines artistiques et de parler de l’Art avec un grand « A ». Mais il faut bien comprendre que notre réflexion doit se limiter à certaines expressions artistiques, afin qu’en limitant le champ de notre réflexion à certain domaines, nous puissions approfondir cette dernière d’une façon qualitative.
La peinture et la sculpture seront donc nos fers de lance.
Ce choix, arbitraire à plus d’un titre, permet cependant, mieux que tout autre, de saisir à quel point, l’évidence qui s’est établi dans la distinction que nous faisons entre l’art et les autres productions humaine, est remise en question, par la pratique et même le positionnement de l’œuvre dans le monde. Ce que nous voulons dire par là, c’est qu’une statue, une sculpture ou une peinture, qu’elles soient placées dans un musée, un parc, un salon ou ailleurs, restent toujours pour le spectateur une statue, une sculpture ou une peinture. Elles sont nommées art: c’est une évidence. Evidence qui perdure, et cela qu’elles soient produites par un maître ou un amateur. Nous reviendrons d’ailleurs sur ce point.
Cependant, cette classification des productions artistiques en œuvres d’art n’est pas si évidente qu’il n’y paraît au premier abord. Car le vingtième siècle voit s’immiscer dans les musées des éléments de « la vie de tous les jours », qui sont bien loin de la totale métamorphose du bloc de granite en statue et qui, s’ils n’étaient pas placés sous la protection des musées, ne feraient pas l’objet de la moindre attention. Ce point entraîne la nécessité de redéfinir l’œuvre d’art ainsi que l’artiste.
Car il faut bien avouer que depuis Duchamp et son fameux Urinoir, uriner devrait avoir une toute autre aura que cela se fasse dans un urinoir ou ailleurs. Or, si tel n’est pas le cas, et tel n’est pas le cas, il nous faut nous demander pourquoi. Faudrait-il y voir une perte de pouvoir de l’art sur le monde? Faudrait-il saisir l’art comme « non-pertinent », insignifiant dans le sens qui ne signifie rien pour le monde, voire qui ne dit rien du monde ni même au monde, un art vide de sens ?
Autrement dit, limiter notre étude aux arts de la peinture et de la sculpture, deux arts « physiques » ou plus précisément deux arts tactiles et visuels qui semblent, sans conteste, les plus évident à déterminer, à reconnaître et à catégoriser sous le nom d’art, et cela est tout relatif, permet de mieux comprendre l’entrée de l’Art dans le monde et le changement de rapport entre l’œuvre et son public qu’instaure un tel engagement. Changement de rapport où l’artiste même est inclus.
Production des artistes, production artistique
Parler de productions artistiques soulève un problème qu’il nous faut éclaircir préliminairement à toute analyse. En effet, qualifier d’artistiques certaines productions humaines, c’est les mettre à distance des autres productions et en faire une classe à part, un ensemble de productions qui n’équivaux pas aux autres. Mais sur quel critère discriminatoire est fondée cette distinction et plus encore qui est celui ou ce qui décide de cette discrimination ? Admettant cette distinction, comment qualifier d’art ces objets de la vie courante qui font leur entrée dans les musées ? Est-il encore possible de les qualifier sous l’appellation d’art ou faut-il, comme le font certains les nommer non-art ?
Or, le terme même de non-art soulève encore d’autres questions auxquelles il convient de répondre afin de saisir si le non-art est la fin de l’art, c’est-à-dire son terme, sa mort ou s’il est, au contraire, son épanouissement ultime comme le prétend Danto.
Dans le rapport artiste, œuvre, public, il y a encore une question dont nous ne pouvons pas faire abstraction : celle de la signature, la « marque du créateur dans sa créature », la marque de la reconnaissance, de l’immortalité, de la sanctification devrions-nous dire.
Or, ce problème ne peut être traité indépendamment de la création elle-même et donc du mécanisme de création qui fait que cette œuvre est une production si particulière et cela au même titre que l’individu qui a présidé à sa création. De plus, elle est aussi dépendante de lui que lui-même l’est de ses parents. Ainsi, dans ce rapport complexe, faut-il saisir l’œuvre comme la création de l’artiste à qui elle doit autant qu’un enfant procède de ses parents, c’est-à-dire que l’œuvre naissant de l’artifex, elle est une part de lui, de son ADN, de son expression au monde, une sorte de prolongement de sa présence ? Et dans ce cas, l’œuvre est-elle inscrite dans un pur mécanisme de médiation, de remédiation voire de distanciation avec son créateur ou se retrouve-t-elle dans tout ou partie des trois ?
Parler de l’art engagé dans le monde, c’est parler des attentes du public envers l’art, et surtout de l’attente du premier des publics d’une œuvre : son propre créateur. C’est s’interroger sur l’objet de l’expression de l’art et se demander si l’art a une vocation profonde ou s’il est l’art pour l’art. C’est aussi poser la question du monde de l’art : qui est-il ? Qui le compose et cette composition est-elle fixe ou mouvante ?
L’acte de créer établit un lien entre le créateur et la créature, entre l’artiste et l’œuvre. Or, s’il est possible de saisir dans l’artiste le premier public de l’œuvre, il faudrait aussi voir dans le public, son nouveau créateur, non pas dans sa forme, mais du moins dans le sens qu’il lui accorde ou qui se révèle à lui. Or c’est justement ce sens de l’art, ce sens de l’œuvre d’art qui n’est plus saisit par l’ensemble du public, comme si l’évolution de l’art aussi bien dans sa conception que dans son statut avait échappé au plus grand nombre, au moins en partie.
De fait, s’il faut s’interroger sur les raisons de ce grand « bond en avant » de l’Art, il ne faut pas moins le faire sur ses effets. Car c’est à la fin du XX ème siècle que se déploie une véritable révolution artistique qui se produit encore et dont les prémices datent du XIX ème siècle et de la naissance du terme d’art engagé.