L’autre jour, je me suis perdue à lire un magazine féminin dont la photo de couverture aguichante a attiré mon attention. Et, alors que je feuilletais nonchalamment les pages, je suis tombée sur les mots “injonction”, “imposé”, “angoissée”; ce qui m’a interloquée.
Rentrée chez moi, j’ai flâné sur les sites féminins, encore eux, et la tendance est la même: en somme, la femme est une victime.
Je dis cela tout net: la femme est une victime!
Victime de la société, victime des industriels, des modes, des hommes, aussi; des autres femmes, surtout.
Le constat me coûte, mais il s’impose de lui-même; depuis quelques années, la femme se positionne, se reconnaît et se revendique comme telle! Une victime vous dis-je!
Alors oui, il n’y a pas de honte à être une victime, pas de fierté non plus, il s’agit d’un constat, un aveu d’impuissance, une sorte de fatum auquel on est soumis ou pas.
Ce qui est dérangeant, c’est le fait que la femme se présente, ou est présentée et se reconnait, systématiquement dans cette posture.
Injonction du beau corps, manipulée par les magazines féminins, les industries textiles, pharmaceutiques, la société, leurs amies ou les membres de sa famille, tout l’environnement fait de la femme une pauvre chose sans volonté, qui, soumise qu’elle est, se voit manipulée, contrariée, orientée vers des choix qui lui sont imposés! On se croirait dans un conte des frères Grimm.
Mais depuis quand les femmes n’assument-elles plus qui elles sont?
Depuis quand les femmes n’affirment-elles plus ce qu’elles veulent?
Depuis, quand la femme libérée des années 30, assumée des années 70, révoltée, enfin, des années 2000 avec me-too, est-elle devenue une femme victime de tout, qui se justifie, ou plutôt s’explique et s’excuse de ce qu’elle porte, de ce qu’elle fait, de ce qu’elle est, en accusant tout et tout le monde sauf elle-même du mal-être dans lequel elle se trouve?
Alors certes, la mode, nos pairs, la société, la saison, notre mère aussi, nous informent sur les vêtements à mettre, les styles acceptés, les genres, les activités, les comportements et alors?
Et alors?
Et alors? Faut-il que nous, nous les femmes, avortions de nous-même? De nos convictions, de nos opinions, de notre être tout entier parce que l’autre, le grand autre, la doxa, donne son opinion? Depuis quand une opinion est-elle devenue une injonction?
Car le mot est là : injonction.
Quand je pense à tout ce par quoi les détentrices du chromosome X sont passées depuis des siècles, tous ses combats, toutes ses victoires, ses revendications, ses affirmations, tout cela serait balayé par une malheureuse “injonction”? Mais injonction de qui? Des médias?
Remettons les choses à leur place et revenons-en à la base: le Larousse.
“Injonction: nom féminin. Ordre formel d’obéir sur-le-champ sous menace de sanction. Synonyme: commandement – mise en demeure.”
Quelle autorité ont donc la mode, nos pairs, la société, la saison, notre mère sur nos décisions, une fois devenues adultes ? Rien de plus que celle que nous leur accordons.
Ainsi, lorsque les rédactrices ou les rédacteurs écrivent : injonction; je lis :”soumission volontaire”. Et là où il y a soumission volontaire, il n’y a nul droit, besoin, ou même velléité de plainte.
Quelle serait la sanction? Serons nous frappées, honnies, expulsées manu militari des plages? Privées de notre droit de vote? Démembrées en place publique? Non, non, non et non.
Alors oui, nous serons regardées, sur les plages; mais n’est-ce pas là le lieu où l’on se dénude et où l’on accepte et certaines fois revendique ce regard? Oui, sans doute aussi serons nous jugées silencieusement ou pas (ambiguïté lexicale, les deux lectures sont acceptées). Mais la loi garantit le droit à l’image et protège contre l’insulte publique. Plus certainement, notre corps, notre bronzage et nos beaux et chers maillots seront outrageusement ignorés par la foule suante, ensablée et salée des plages.
L’été arrive, les magazines font leurs unes avec des mannequins au corps parfait et parfaitement retouchés par Adobe photoshop.
Et c’est leur rôle!
Les pharmacies vendent des auto-bronzants, les magasins vendent des maillots: bikini, vêtements de bain à lacets, véritables casse-tête d’habillage, crèmes amincissantes… Ils vendent du rêve. Quand l’avons-nous oublié?
Je suis étonnée de constater que les jeunes filles, femmes et même les femmes plus âgées se plaignent de leur corps et des solutions qui leurs sont proposées! Car femmes, nous pleurons sur le corps imparfait qui est le nôtre, et, sous couvert de féminisme, des voix s’élèvent contre les maillots gainants, les crèmes auto-bronzantes, les palliatifs, en somme, à ces problèmes que nous nommons ainsi, que nous vivons comme tels et dont nous accusons les autres de nous affubler. Car l’enfer c’est les autres, c’est bien connu et la femme est frêle et fragile, elle se laisse influencer, la pauvre, par tout ce qui l’entoure, prisonnière qu’elle est dans l’œil de ceux qui la regarde.
Tous les problèmes que nous investissons, mal-être, morphologie imparfaite, dysfonctionnements du corps, ne peuvent être résolus par le sport et une bonne hygiène de vie.
Certaines fois, ce sont des irréductibles avec lesquels nous n’avons d’autre choix que de composer; et si des supports, des adjuvants technologiques nous sont proposés, à nous où à ceux et celles qui estiment en avoir besoin, qui sommes nous pour crier à l’insoutenable domination du patriarcat qui foule au pied le sacro saint amour de soi piétiné par tous les “non pourvus d’utérus”?
Nous ne sommes pas des êtres à plaindre
Il convient de ne pas oublier que les hommes aussi sont soumis aux mêmes injonctions. Et alors? Sommes nous tenus de répondre ou de suivre toutes les injonctions qui se font jour? Avons-nous oublié l’enfant insolent que nous étions et qui criait l’air badin : “et alors?”
Les femmes ne sont pas des “êtres malades”, n’en déplaise à de Vigny et à la tradition de ceux et celles qui se plaisent à ne voir les choses que du prise du bourreau.
Les femmes ne sont ni faibles, ni à plaindre. Et certainement pas concernant leur corps. Que l’on arrête de faire feu de tout bois et de crier à la libération là où le seul joug dont nous souffrons est celui que nous acceptons de porter.
Arrêtons d’éduquer nos filles comme si le monde entier s’opposait à leur croissance et à leur bon développement car non, une femme n’est pas plus épanouie poilue qu’épilée, pas plus indépendante célibataire que mariée, pas plus belle avec un teint noir ébène qu’avec celui de porcelaine, pas plus dynamique grasse que maigrichonne, ni entre les deux, ni aucun des deux. Et oui, certaines fois, souvent ou rarement les humains, hommes, femmes, enfants (mais ça c’est une autre question) trouvent que leur corps est inadapté par rapport à leurs attentes, leurs objectifs, leurs efforts, et ont juste envie de geindre.
Est-ce grave?
Non, c’est normal. Et ce n’est pas parce que c’est normal que tout un chacun ne cherche pas à faire autrement, à faire mieux et cela quelque soit les chemins empruntés.
Résiste, prouve que tu existes
L’image que nous nous imposons, que nous lisons dans les magazines, que nous entendons de la bouche de nos parents, de nos amis, des nos ennemis aussi, fait et a toujours fait partie de la vie.
Kheira Chakor, la biochimiste, dit d’ailleurs : “la vie est un équilibre fragile entre l’existence et la résistance.” Et cela est aussi vrai pour les femmes que pour les hommes.
Un équilibre entre faire, affirmer et refuser. Refuser c’est dire non. Non merci, mais non quand même.
Voilà un joli corps fais ça pour l’avoir, Non.
Bronze, non
Mange, non
Ne mange pas, non.
Mets des lunettes, des jupes courtes, des maillots, non, non, non.
Je dis refuser, je devrais dire refuser ou accepter d’ailleurs, mais décider dans tous les cas, se positionner, choisir : renoncer à quelque chose pour dire oui à autre chose.
Faire un choix en somme et l’assumer. Quelques soient les conséquences, les désillusions, les regrets.
Tous victimes… ou pas
Lorsque les hommes et jeunes hommes se confrontent aux magazines ou aux médias qui mettent en avant une certaine vision du corps, soigné, musclé, bronzé, membré ; ce n’est pas moins difficile pour eux que ça ne l’est pour nous de dire non. De se positionner, de faire un choix et de l’assumer.
Mais cela, personne n’en parle. Pourquoi? Parce que ce n’est pas vendeur. Les hommes ne veulent pas se voir en victimes, ils ne se perçoivent pas en victimes et ne se laissent pas enfermer dans ce statut. Ils disent non. Ou plutôt aucun rédacteur ne les déresponsabilisent.
A bien y penser, la société ne veut pas de l’homme victime, mais cela est un autre débat.
Ceci dit, cela ne veut pas dire que les hommes ne souffrent pas de ces fameuses injonctions, qu’ils ne les entendent pas. D’ailleurs, cela les met aussi face à ce qu’ils jugent être des manquements, des faillites, des inadaptations, mais aucun journaliste, aucune chroniqueuse ne les enferment en disant à quel point ils sont courageux de ne pas se laisser maltraiter comme les femmes.
Entendez moi bien, si je m’agace de ce genre de discours, c’est parce que des jeunes filles, des adolescentes, des jeunes femmes se construisent au-travers de ces raisonnements pseudo bienveillants et formatent leur esprit en se disant : “oui, c’est vrai, pauvres de nous, nous sommes des manipulées et ce que nous faisons, nous ne le faisons que parce que nous sommes endoctrinées. Ce n’est pas de notre faute”.
Mais cela revient à déresponsabiliser les femmes face à leurs choix, en faire des pauvres objets, sans volonté, sans pensée, des enfants à perpétuité.