Il m’a demandé de le suivre , et j’ai entendu “obéis”.
Il m’a dit: “ Sois libre!” et j’ai entendu: “je ne veux pas de toi”.
Il m’a dit: “Projette toi” et j’ai entendu “projets sans toi”.
Comment expliquer que les messages dits, se trouvent corrompus, transformés au moment de leur décryptage? Comment expliquer qu’une fois amoureuses certaines personnes optent pour l’auto-sabotage de leur relation, alors que les choses leur sont données gratuitement?.
C’est un mécanisme d’autodéfense. C’est parce que, dans le passé, j’ai souffert, que je considère que dans le présent, je ne peux pas goûter à ce bonheur. Comme une sorte de dette karmique qui doit être payée et justifie la souffrance et les difficultés traversées jusqu’alors. Peut-être est-ce la peur de perdre ce qui est donné tout de suite et maintenant oui, peut-être est-ce le jugement sur soi-même; nous nous trouvons indignes d’obtenir ici et maintenant ce bonheur. Mais cet auto-sabotage corrompt notre relation avec l’autre, et souvent le pousse à fuir, chassé qu’il est par nos doutes et par nos réactions d’autodéfense.
Je chasse l’autre parce que je ne me sens indigne de lui.
A dire vrai, je ne sais pas si, avoir simplement conscience du mécanisme, permet de s’en libérer. Pourtant, il me semble que cette prise de conscience permet, si ce n’est de désamorcer une situation récurrente, à tout le moins, de revenir sur cette dernière et de pouvoir en parler a posteriori avec celle ou celui dont on se défend.
Je lisais aujourd’hui une newsletter de Peggy Tournigand, autrice du livre Les Oeufs de Yoni pour révéler son potentiel féminin. Cette lettre a été pour moi révélatrice de mon incompréhension de certains propos de mon compagnon. Non qu’il s’exprime mal ou dans une langue que je ne maîtrise qu’à moitié, mais que le message qu’il tente de faire passer est mal décrypté par moi.
Une relation peut être une évidence, c’est-à-dire s’imposer à nous comme allant de soi et pourtant nous mettre en danger. Non qu’elle soit un réel danger, malgré tout, nous pouvons la percevoir comme un danger potentiel pour nous. En fait, nous nous attendons à ce que la relation péréclite et nous sommes déjà à l’affût des indicateurs marquant cette rupture auto-programmée. Nous passons les échanges au crible de nos doutes et sautons sur les preuves fantasmées de la traîtrise ou du désintérêt de l’autre.
Et malgré l’évidence qu’est cette relation, lorsqu’il m’a demandé de le suivre, j’ai entendu “obéis”. Dans la lettre de Pegguy c’est son mari, son compagnon qui lui dit: “je te suis”, volontairement, sans contrainte, sans colère, sans rage. Il lui dit: “je te suis”.
Alors certes, je comprends cette posture et je comprends cette intention de suivre l’autre. Spontanément je peux aussi décréter :”je te suis”, je peux y croire et le faire, et c’est beau même. Mais le fait que l’on me demande de consentir à un comportement qui pourtant aurait été le mien, puisque c’est dans un mouvement de suivi successif que je considère le couple, m’a semblé intolérable et a sonné, pour moi, comme un ordre.
Pourtant, cette expression, après réflexion, puisque je m’interroge toujours sur les raisons de mes réactions autant que sur les motifs de mes actions, cette expression n’avait rien d’agressif, ni dans le ton, ni dans la forme. La phrase exacte était : “il faut que tu me suives”.
Et, alors que tout allait bien et que le moment était paisible, cette simple phrase m’a replongée dans le passé et je me suis braquée. Car mon passé est peuplé, habité, hanté, par des relations complexes et destructrices. Or, on ne craint que le passé. Je n’invente rien; le passé informe nos comportements et nous construit dans nos échanges avec autrui. C’est naturel et même salvateur. Pour autant, et je n’enlève rien aux bienfaits de la mémoire et du souvenir, il me semble que le passé à son lieu: c’est le passé. Il doit être saisi pour ce qu’il est, c’est-à-dire une expérience, un événement et non un étalon qui informe, dans le sens où il donne forme, au futur.
Or, nous avons du mal à faire le réel deuil de notre passé et de le laisser dans son lieu, le consultant à titre informatif et non performatif. J’ai très longtemps fait usage de mon passé comme un élément performatif de ma vie et j’ai créé un bouclier efficace et très épais.
Or, cette posture défensive, si elle m’a permis d’avancer, libre et maîtresse de moi-même, m’a formatée et m’a longtemps empêchée de faire confiance et de me placer dans la dyade.
Il m’a dit: “ suis-moi” et j’ai entendu “obéis moi”.
Le point sur lequel je souhaite insister au travers de cette expérience, c’est qu’il est capital d’écouter l’autre, sans modifier son propos, sans le filtrer au-travers de vos émotions, de votre passé, de votre ressenti. Écouter l’autre c’est accueillir son propos indépendamment de la trahison que vous vous attendez à subir ou du bonheur que vous espérez vivre. Mais c’est un exercice compliqué, je le sais, qui demande l’acceptation de soi.
Oui nous devons nous accepter avec nos forces, avec nos faiblesses, avec notre histoire, avec nos attentes, avec nos souffrances et nous devons poser tout cela en nous même tout en laissant la place pour accueillir le propos de l’autre ses intentions ses souhaits ses rêves. Car ces éléments du passé ont été formateurs et nos réactions ont été protectrices. Cependant, accepter de ne pas corrompre le discours de l’autre est difficile. Il faut accepter d’interroger l’autre et lui demander ce qu’il sous-entend au travers des mots qu’il emploie. C’est à ce prix que le discours peut-être compris et perçu tel qu’il est et pour ce qu’il est.